Interview de Eric Sargiacomo, Député européen

Modifié le 31/10/2024

« Je compte utiliser tous les leviers en ma possession pour que l’attention nécessaire soit portée au secteur »

Interview de Eric Sargiacomo, Député européen

A l’occasion de ses « rencontres à la vigne », la CNAOC a rencontré une vingtaine d’eurodéputés au cœur du vignoble Alsacien. Parmi eux, Eric Sargiacomo, qui vient d’être élu député européen et vice-président de la commission de l’agriculture et du développement rural. Originaire des Landes et Conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine, il est déjà très impliqué sur les sujets viticoles : il co-présidera d’ailleurs le futur intergroupe vins du Parlement européen.


Alors que les conclusions du Groupe à Haut-niveau vont dès décembre 2024 poser les jalons de la prochaine PAC 2027, l’Eurodéputé jouera un rôle clé dans les négociations pour l’avenir de la filière. Explications des enjeux et perspectives pour le secteur vitivinicole en Europe.


Eric Sargiacomo

 

De nombreux changements sont intervenus avec la nouvelle CE et le nouveau PE : « la voix de la France porte moins » en Europe, tout comme celle de l’agriculture avec des eurodéputés spécialistes de l’agriculture moins nombreux. Que peut-on attendre de la nouvelle mandature sur les questions agricoles et viticoles ? Est-ce que notre filière aura la capacité d’être entendue, protégée, soutenue ?   

« Si la voix de la France porte moins en Europe c’est surtout à cause de la situation politique en France depuis la dissolution voulue par le Président de la République. Elle est intervenue au plus mauvais moment pour peser sur la composition de la nouvelle Commission européenne. Du côté du Parlement et de la Commission de l’agriculture (COMAGRI), j’observe plutôt un statu quo en matière de représentation des Français, hormis, il est vrai, du côté du camp présidentiel. Mais il est sûr qu’à côté des Italiens qui semblent avoir fait de la COMAGRI leur priorité absolue, et ce tous groupes politiques confondus, il y a des leçons à prendre de ce côté-ci des Alpes. »

 

La lettre de mission que la présidente von der Leyen a adressée à M. Hansen, le commissaire désigné à l'agriculture et l'alimentation, ne fait pas mention des indications géographiques viticoles, alors même que la viticulture sous IG représente 80% de la viticulture européenne. Comment l’interpréter ? En tant que représentant de la France et de son agriculture, comment allez-vous faire pour remettre nos IG viticoles sur le devant de la scène ?

La lettre de mission donne les grandes lignes, et il y a seulement deux pages propres à chaque Commissaire, elle ne rentre pas vraiment dans ce niveau de précision. Le vrai signal politique qui est donné c’est l’ajout de l’alimentation, ça c’est une nouveauté. Je considère qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction même si tout reste à faire pour concrétiser cette orientation. Il est urgent de reconnecter l’alimentation et l’agriculture, à tous les niveaux, du local à l’européen, afin de prioriser sur la finalité première de l‘agriculture : produire les aliments nécessaires à notre subsistance. Quant aux IG viticoles et plus largement aux vins, en tant que co-président de l’intergroupe Vins, Spiritueux et Produits de qualité, je compte utiliser tous les leviers en ma possession pour que l’attention nécessaire soit portée au secteur.    

 

En tant que Vice-Président de la Commission Agriculture, comment avez-vous perçu les premiers pas de la nouvelle COMAGRI ? Que peut-on en attendre pour la filière vin sous IG (AOC-IGP) ?

Nous sommes vraiment au tout début du mandat et les choses sérieuses, si je puis dire, vont commencer une fois que le Commissaire sera confirmé. J’ai rencontré Christophe Hansen (le commissaire désigné à l'agriculture et l'alimentation), il connait bien l’agriculture et en particulièrement la viticulture. Il sera sans doute un meilleur Commissaire que son prédécesseur qui était pour ainsi dire transparent. En tant que Vice-Président de la COMAGRI, c’est pour moi important d’être dans le dialogue avec les députés les plus influents. C’est important de présenter son territoire et de tisser des liens en début de mandat afin de pouvoir mieux se comprendre. Le précédent mandat a été compliqué et nous avons besoin de dépasser la polarisation qu’il y a pu y avoir. Les agriculteurs n’ont rien à gagner à ce que s’affrontent deux camps qui se refermeraient sur leurs certitudes, il faut trouver les compromis et savoir rappeler les réalités du terrain. D’un côté, on ne peut pas toujours en demander plus aux agriculteurs sans leur donner le temps nécessaire et surtout les moyens financiers de s’adapter ; de l’autre on ne peut pas faire comme si tout allait bien et qu’il ne fallait pas remettre en cause le mouvement de dérégulation et accorder plus d’importance à des enjeux de santé publique majeurs.

 

A peine le Dialogue Stratégique sur l’Agriculture a rendu ses conclusions que le Groupe de Haut-Niveau sur la viticulture débute. La filière viticole, qui attend beaucoup de ces rendez-vous, a de nombreuses propositions concrètes pour la prochaine Politique Agricole Commune (PAC) au niveau économique (outils de régulation, gestion des AOC, boîte à outils verte, diversification sur les marchés, étiquetage consommateur clair). Alors qu’il reste encore 2 réunions sur 4 (dont 1 où la filière n’est pas conviée) jusqu’à décembre 2024, êtes-vous optimiste quant aux conclusions de ce GHN et des éventuelles pistes opérationnelles pour la filière vin ? 

Le rapport du Dialogue Stratégique sur l’Agriculture est une base intéressante pour enclencher les réformes nécessaires. Comme je viens de le dire on a besoin de dialogue et de faire sortir certains acteurs des jeux de postures. Lors du précédent mandat, l’erreur aura sans doute été de réduire la durabilité à sa seule dimension environnementale, les dimensions sociales et économiques n’avaient quasiment pas été travaillées. Or il est indispensable d’accompagner les agriculteurs dans la transition et de limiter les prises de risques. A défaut, la perspective du changement devient inacceptable, cela se comprend. Dans le rapport du Dialogue Stratégique on retrouve bien les 3 dimensions de la durabilité, de manière équilibrée, dans une approche d’ensemble, systémique comme certains diraient, ce qui doit permettre de trouver un chemin de réforme acceptable. Quant au Groupe de Haut-Niveau, je sais que les différents représentants du secteur sauront clairement exprimer leurs attentes auprès de la Commission notamment en matière d’outils de régulation. Contrairement à d’autres, votre secteur est très bien organisé auprès des instances européennes et surtout vous avez su garder le sens du collectif et la défense de la régulation des marchés.   

 

La tentation de libéraliser la filière peut être forte de la part de la Commission Européenne (On l’a vu avec la bataille pour maintenir le régime des droits de plantation en 2014 et la réforme des IG en 2022). Pourtant, le niveau de notoriété et de valorisation de nos produits AOC sont les preuves vivantes qu’un maintien de nos spécificités est indispensable au bon fonctionnement de la filière. Quelle est votre position sur le maintien de ce cadre règlementaire et budgétaire propre à la filière dans la prochaine PAC ?

Effectivement, il y a eu 2014 mais on doit aussi parler de la réforme de 2021 où le système des autorisations de plantation a été prorogé jusqu’en 2045. Mon prédécesseur et ami Eric Andrieu m’a beaucoup parlé de la bataille qu’il a dû livrer face à une Commission ancrée dans ces certitudes. Il a pu obtenir d’autres avancées comme la possibilité pour les interprofessions gérant des vins sous IG de faire des recommandations sur le prix du raisin, cet outil est indispensable pour assurer un meilleur partage de la valeur au sein des filières. A l’avenir, je serai bien-sûr de ceux qui défendrons l’acquis mais il faudra également aller chercher des pièces manquantes à l’édifice. Je pense en particulier aux aides à l’arrachage. On a cru pouvoir s’en passer et cet outil a été sorti de la PAC à la fin des années 2000. Résultat, on est obligé de passer par des aides à la diversification pour faire la même chose ou presque. L’arrachage est un crève-cœur pour les viticulteurs, cela reste un outil de régulation incontournable qu’il faut remettre dans la boite à outils de la PAC.


Rencontres à la vigne - 10 octobre 2024.

 

Le budget est le nerf de la guerre. Nous devons pouvoir disposer de fonds pour se structurer, se développer et assurer la transition vers une agriculture plus durable. Or, nous savons que celui de la filière viticole est menacé : l’enveloppe promotion a été remise en cause très récemment… Quel est votre vision des Plans Stratégiques Nationaux dans la prochaine PAC ?

Tout d’abord je dois dire que le secteur viti-vinicole a été clairvoyant en refusant de basculer dans le régime des aides découplées à l’hectare. Il s’est battu pour garder son enveloppe propre qui finance les programmes nationaux d’aides dans chaque Etat membre, c’était le bon choix. Ce fond doit être préservé à tout prix, la flexibilité qu’il offre est majeure. Pour faire simple, quand le marché se porte bien on utilise l’argent pour investir, quand la surproduction guette on finance de la distillation de crise. Quant au fond de promotion, il est actuellement bloqué dans son fonctionnement. La Commission avait annoncé une révision du règlement Promotion il y a plusieurs années, et on ne voit toujours rien venir. En attendant ce n’est pas normal que cet outil soit paralysé alors même qu’avec les récentes rétorsions chinoises sur le cognac, nous devons l’utiliser à nouveau. Il me semble également nécessaire que tous les acteurs doivent pouvoir en bénéficier, peu importe leur taille.

 

Parmi les mesures proposées, EFOW et la CNAOC proposent de renforcer la régulation des plantations. Le dispositif européen oblige aujourd’hui le vignoble et les AOC à croitre. Cette vision libérale est déconnectée de la réalité pour certaines AOC qui souhaitent une stabilité de leur potentiel de production d’une part, et du développement de Vins Sans Indication Géographique (VSIG) d’autre part. Etes-vous en phase avec cette demande ?

Appuyer en même temps sur le frein et l’accélérateur, cela n’a pas de sens ! En ce moment, ce sont des milliers d’hectares qu’on arrache, c’est pour le moins surprenant d’avoir à justifier qu’on ne veut pas planter les 1% supplémentaire annuel. Il faut se rappeler d’où vient cette mesure : c’était à l’époque où la Commission croyait qu’il suffisait d’augmenter progressivement les quotas pour que le marché retrouve son équilibre. C’est une pure vue de l’esprit, les secteurs laitiers et betteraviers en ont été pour leur frais. Il faut donc garder notre système d’autorisation de plantation tout en disposant d’un peu de souplesse pour permettre le développement de nouveaux vignobles à la marge, notamment dans des zones plus septentrionales.

Le rapport sur l’avenir de l’agriculture pointe un nécessaire accompagnement des filières en renforçant « les outils de gestion des risques, des crises, la promotion d’une agriculture résiliente à l'eau et en mettant au point des approches innovantes en matière de sélection végétale » : A-t-on des chances d’aboutir sur la résilience de nos exploitations (concilier performance économique et transition agroécologique) ?  Quels pourraient être ces nouveaux outils ?

Le rapport du Professeur Strohschneider est une excellente base pour penser les évolutions à venir de la PAC. On doit concilier les trois dimensions du développement durable, l’environnement, l’économique, sans oublier le social, c’est là la définition qu’en a proposé la première ministre norvégienne Gro Harlem en 1987. En matière de gestion de crise votre secteur a réussi à conserver ses outils de régulation contrairement à la plupart des autres filières agricoles. Il y a quelques trous dans la raquette à boucher, comme je l’ai dit avant, mais l’essentiel est là. Sur les outils de gestion des risques, c’est à dire les assurances, on a un problème avec la moyenne olympique et le seuil de déclenchement à 25% de perte. Cela nous vient aussi des règles de l’OMC qu’il va falloir réussir à réformer un jour. Enfin, les principaux risques pour les viticulteurs c’est le mildiou et l’oïdium pour lesquels l’emploi de produits phytosanitaires comme le cuivre reste indispensable. Les variétés résistantes comme le Voltis commencent à arriver mais il va falloir encore du temps pour que l’on soit sûrs d’avoir des cépages avec les qualités gustatives désirées. La sélection assistée par marqueur génétique est une révolution déjà à l’œuvre. Avec les Nouvelles Techniques Génomiques, on nous promet d’autres avancées, pourquoi pas, je n’y suis pas opposé par principe, mais cela doit se faire dans un cadre contrôlé en assurant la liberté de choix du producteur comme du consommateur avec un étiquetage en conséquence.   

 

La viticulture en France comme en Europe est la cible de plus en plus régulière d’attaques sur le volet santé (« no safe level ») tout en considérant que nous sommes des acteurs incontournables du paysage français et de la ruralité et nous représentons un poids économique très important… Comment sortir de ces injonctions contradictoires ? Quelles solutions pourrait-on envisager pour prévenir un durcissement de la politique sanitaire qui mettrait notre filière en danger ?

Je ne suis pas du tout convaincu par le « no safe level », les mesures prohibitionnistes ça n’a jamais marché ! Le problème ce sont les excès et il faut protéger certaines catégories de la population. Je ne comprends pas pourquoi la Commission européenne ne cherche pas à étendre le logo sur les femmes enceintes par exemple. Au contraire, le vin fait partie de notre art de vivre, je dirai même de notre civilisation. Dans une société où l’individualisme est devenu la norme, je pense qu’il faut au contraire promouvoir la convivialité et le partage, et le vin en est un des vecteurs. A croire que les vendeurs d’anti-dépresseurs ont à gagner derrière cette approche prohibitionniste !


Eric Sargiacomo et Jérôme BAUER


Propos recueillis pas Charlotte Barotin - Cnaoc.

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Divers 08/10/2024

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